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de Marionnette et Thérapie

 

La marionnette :

personnage (imaginaire ?) à construire

L'importance du temps de fabrication de la marionnette, puis de la création d'un personnage, d'abord dans sa forme matérielle, sensible, puis dans sa dimension imaginaire et symbolique, est bien connue et souvent évoquée par les marionnettistes. Elle est également signalée par de nombreux thérapeutes.

Ceci a déjà été mis en évidence dès 1974 par l'équipe de l'Institut Marcel Rivière qui, avec le docteur Jean Garrabé, a développé l'application de la technique des marionnettes au traitement de patients adultes.

Dans l'ouvrage « Marionnettes et Marottes », les auteurs remarquaient que « souvent on observe une identification du sujet à sa marionnette par le choix d'un vêtement semblable. Ainsi, une personne a tricoté pour sa marionnette le même pull que le sien ». C'est en s'appuyant sur de telles observations que le docteur Garrabé et ses collaborateurs, ainsi que H. Langlois, ont pu appeler leur travail une « thérapie par le Double », la marionnette réalisée apparaissant comme une sorte de « double » de son créateur.

Est-il besoin de renforcer cette identification, souvent inconsciente, par une consigne qui la déterminerait ? 

Dans le dispositif du « psycho-créato-drame » décrit par Huguette Langlois, cette identification est explicitement souhaitée, étant intégrée aux consignes initiales : « La monitrice suggérait toujours qu'il serait intéressant de faire son auto-portrait ou le portrait d'un membre du groupe. »

On peut s'interroger sur le sens et la portée d'une consigne aussi directive. Pourquoi désigner ainsi un but à l'imitation, délimiter le champ d'un travail projectif qui sera, de toutes façons, à l'oeuvre ? Il se pourrait qu'il y ait là une tentative – sans doute involontaire – de s'en défendre en lui fixant les limites du contrôle de la conscience…

Par contre, l'équipe du docteur Garrabé précise que le soignant « laisse entièrement libre le choix du personnage. »

La technique de fabrication utilisée est une technique d'assemblage et n'a pas recours au modelage. La tête, à partir de ouate de cellulose et de mousse de polyester est « bourrée et serrée », les détails du visage sont cousus ou collés sur le bas nylon ou la feutrine qui recouvre le volume de base. La fabrication du corps de la marotte se fait par l'assemblage de matériaux divers, bois, fil de fer, feuilles de plomb, etc.… Elle aboutit à la réalisation d'une marotte possédant deux bras articulés dont l'un peut être mû par une tige de rotin. À la question : « Pourquoi une marotte ? », les auteurs répondent : « Il fallait choisir une marionnette de fabrication facile et rapide. L'animation devait être d'apprentissage aisé. La marotte réunit ces qualités : de plus, elle demande au manipulateur de mouvoir son corps pour se mouvoir elle-même » (ibid. p. 39).

La consigne, ouverte sur une totale liberté de choix, provoque au départ une certaine insécurité : « Les patients sont angoissés devant le choix des personnages ; en les entourant, les rassurant, on obtient qu'ils créent une marionnette dont le choix n'est pas conscient » (ibid. p. 126).

Une fois la fabrication terminée, que ce soit explicité ou non par les patients, il apparaît « une ressemblance avec eux-mêmes ou avec une personne non étrangère à eux, amie ou ennemie, mais de toutes façons non indifférente » (p. 42).

Nous inspirant du travail de l'Institut Marcel Rivière, nous avions, pour notre part, adopté la même consigne ouverte sur un libre choix du personnage. Instruits par l'expérience, nous avons par la suite proscrit explicitement l'éventualité de faire une copie délibérée d'un quelconque personnage de la réalité chaque fois que ce projet était exprimé par un patient.

Nous avions laissé l'un d'eux faire délibérément son autoportrait. Fasciné par les miroirs au fond desquels il cherchait sans fin la certitude de son existence, V., qui avait voulu se faire lui-même – mais « Qui a jamais pu « se » faire soi-même »… ? – avait réalisé une magnifique doublure, dont la ressemblance physique était magnifiée par un air de sagesse et de dignité qu'il s'évertuait à imiter. Cet idéal réalisé, V. s'abîma dans la fascination de cette belle image, désormais tenant lieu de lui-même. Aucune coupure ne put intervenir entre cet objet-Double et son regard, et il ne put entrer dans aucun jeu scénique. À la fin du groupe, il ne se sépara pas de sa marionnette et l'emporta. Le travail thérapeutique s'était fermé, pour ce sujet-là, sur une impasse. L'objet réalisé n'a jamais pu conquérir le statut de « portrait » : c'était, Double réel, lui-même. La marionnette apparaissait constituer le lieu de projection de l'Idéal du Moi, émanation d'un Sur-Moi archaïque inhibiteur par rapport auquel il n'y avait plus de possibilités de « jeu ».

Une telle « identification projective » constitue un phénomène psychotique bien connu et décrit par les psychanalystes, notamment depuis les travaux de Mélanie Klein. Ce mécanisme, qui entre dans la constitution du « transfert massif » spécifique de la psychose, constitue une pierre d'achoppement dans un travail thérapeutique.

L'identification projective doit cependant être considérée comme un processus qui, pour être archaïque, est néanmoins toujours susceptible de resurgir soit chez des sujets très perturbés, soit au cours d'une phase régressive faisant partie intégrante d'un travail psychothérapique.

À l'appui de cela, l'équipe de l'Institut Marcel Rivière avait noté, lors des débuts de ce travail, « un autre fait » qui avait éveillé sa curiosité : « le bras d'une marionnette étant mal accroché, il tomba au cours de l'animation et le soir, au pavillon, la malade voulut s'arracher le bras et se sectionna une veine. Le lendemain, nous avons remis le bras en place et la malade fut soulagée » (p. 41).

Le travail du thérapeute n'est pas, selon nous, de renforcer par des consignes explicites cette identification potentiellement aliénante à la marionnette. Il nous semble être au contraire – tout en s'appuyant sur elle – de mettre en place les conditions d'une prise de distance par rapport à un Double qui peut signifier la mort. Cette prise de distance ne peut s'opérer, pour le sujet, que par un changement de registre du statut de la marionnette. Celle-ci, par le biais du jeu qui sera ensuite développé, entrant dans le champ de l'Imaginaire, devient un espace potentiel de représentation.

Cette conscience de travailler aux frontières intriquées des trois registres, du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire, nous avait amenés – dans notre projet thérapeutique – à proscrire non seulement la réalisation d'un autoportrait mais encore toute représentation délibérée d'un personnage de la réalité, quel qu'il soit.

 

Pourquoi fabrique-t-on des marionnettes dans les stages de Marionnette et Thérapie ?


Pour découvrir les processus psychiques en jeu dans la fabrication avant de proposer ce dispositif thérapeutique à des patients.


En illustration, voici un extrait du numéro 35 de la Collection Marionnette et Thérapie, réédition de « Des marionnettes pour le dire » de Colette Duflot.